L'esprit primitif confond généralement le physique et le mental. Le penseur primitif conclut que la passation d’une charge psychique à un autre individu est non seulement possible mais tout à fait naturelle.
Aujourd’hui, un tel transfert se fait généralement de personne à personne, mais dans les temps anciens, un animal vivant était souvent choisi.
Les gens « civilisés » que nous sommes restent encore assez simples dans leurs façons de penser. En effet, les motivations à désigner des boucs émissaires se renforcent surtout en période de stress.
Cependant, il n’est pas nécessaire de supposer que, dans chaque cas de persécution, la victime soit d’une innocence toute virginale. De manière plus générale, l’Histoire a fait souvent état d’actes de provocation (ou du moins de comportements défensifs et de représailles) de la part des victimes.
Il existe de nombreux degrés dans le procédé du bouc émissaire. On l’ajoute parfois à un blâme justifié et il est souvent l'expression exagérée de préjugés communs. Toujours dû à une pensée confuse et pré-logique, il est capable d'être partiellement ou totalement réprimé par un esprit qui possède des sentiments adéquats de justice ou de fair-play.
Le phénomène de bouc émissaire :
Sans nécessairement remonter au temps du Lévitique, on rencontre aujourd’hui ordinairement ce phénomène. Un stéréotype commun est celui de l’employé(e) qui s'en prend à son conjoint, après une journée éprouvante au bureau, pour toute difficulté domestique mineur. Mais l’entreprise est aussi un terreau très fertile pour cette problématique éthique.
Le procédé de bouc émissaire peut être défini comme un évènement dans lequel l’agressivité d'une personne ou d'un groupe est concentrée sur un autre individu, groupe ou objet ; le degré d’agression et de blâme étant en partie ou totalement injustifié.
Nous pouvons distinguer différents degrés. Nous avons, du plus faible au plus fort :
- La prédilection est la simple préférence d'un individu par opposition à un autre choix.
- Le préjugé est une prédilection rigide, inflexible, exagérée, un esprit fermé et imperméable à l'évidence.
- La discrimination est un acte d'exclusion motivé par des préjugés, fondé non pas sur les qualités intrinsèques d'un individu mais sur une « étiquette » qualifiant le membre d'un groupe discrédité.
- Enfin, le bouc émissaire est la persécution à part entière de ceux contre lesquels nous avons des préjugés et contre lesquels nous faisons de la discrimination. La victime est maltraitée verbalement ou physiquement et ne peut généralement pas riposter.
Ces degrés sont fondés sur une dichotomie « Moi/Nous – Autre(s) » dont chaque marche représente un niveau d’agressivité plus fort. La distance psychosociale à l’Autre (nos différences) y tient un rôle important.
Les motifs provocant la recherche de boucs émissaires :
Parmi les motivations principales à désigner un bouc émissaire se trouvent 1/ les frustrations, 2/ la culpabilité, 3/ la peur, 4/ la recherche d’amélioration de soi, 5/ le conformisme ou encore 6/ une simplification outre mesure.
1/ Une privation peut aboutir à une agression. Lorsqu'on cherche à désigner un bouc émissaire, une telle agression n'est généralement pas dirigée contre la source de la contrariété ; mais contre tout « objet » qui s'avère opportun. En règle générale, le bouc émissaire doit payer non seulement pour les privations immédiates et récentes, mais aussi pour les frustrations de longue date, dont la plupart n’ont plus grand-chose à voir avec la situation actuelle.
2/ La projection de la culpabilité sur les autres est la forme la plus classique de bouc émissaire.
3/ La peur peut être réduite ou dissipée par une attaque préventive contre une menace.
4/ Les sentiments d’infériorité peuvent conduire à désigner des boucs émissaires. L'individu qui ne se sent pas en sécurité peut trouver du réconfort en s'alliant à un groupe particulier (« meilleur » et « différent »), auquel il peut devenir membre. Aussi, le bouc émissaire est un outil utile dans la tentative du démagogue d'accéder au pouvoir, car il aide à éliminer les opposants tout en réalisant l'unité entre les partisans.
5/ Si ceux que nous admirons ont des boucs émissaires, ce n’est qu’en imitant leurs actions que nous pourrons être pleinement acceptés dans leur groupe, dont nous désirons l’approbation. On peut aussi se conformer simplement parce qu’on imite habituellement les « coutumes » populaires prédominantes.
6/ La simplification des problèmes est recherchée pour permettre une certaine compréhension de la complexité de notre environnement qui, sans clé de lecture, peut sembler « chaotique ». Cette simplification stéréotypée permet une économie d'énergie car elle évite de rentrer dans les détails. Parfois, le problème peut être simplifié en blâmant un groupe ou une catégorie de personnes plutôt que des individus spécifiques.
Il est à noter aussi que certains facteurs peuvent empêcher l’expression d’une agression contre le véritable provocateur. Parmi ceux-ci on trouve l’anxiété due à l'attente d'une punition, car le provocateur peut riposter ou, si on l’attaque, cela peut entraîner une punition par un tiers.
On peut aussi avoir un frein psychologique qui nous empêche de l'attaquer : cela peut être lié à une éthique personnelle mais aussi dû à l’influence que le provocateur a sur nous (amour, aura de prestige …).
Enfin, et outre les aspect psychologiques, l’inaccessibilité physique au provocateur, parce que l’on ne peut l’atteindre ou parce qu’on ignore qui il est, est un facteur évident.
Les types de persécuteurs :
Il existe plusieurs types « d’exécuteurs de boucs ». J’en mentionnerai trois, du moins habituel, mais tout de même assez commun, au plus courant.
Le type Compulsif est relativement paranoïaque car généralement possédé par des délires de persécution. Sa pauvreté intellectuelle et/ou émotionnelle ont plusieurs conséquences. Elle aboutit à un manque de capacité à gérer les émotions sur un plan socialement acceptable. Son besoin d’excitation se traduit ainsi en chasse aux sorcières. En fait, il est incapable de comprendre les explications des problèmes rencontrés en termes de forces sociales, politiques ou économiques. Il atteint ainsi des degrés extrêmes de contrariété cumulative et souffre d'une frustration continuelle.
Moins pathologique que le précédent, le type Calculateur retourne l'agressivité qu’il a envers lui-même vers une autre victime. Il concentre son agression sur l'ennemi qui doit être détruit pour lui donner le pouvoir. Il s’emploie à réunir différents groupes pour augmenter sa force de frappe et son aura.
Enfin, il y a le type Conformiste. De nombreuses personnes qui ne chercheraient pas, seules, des boucs émissaires, le feront avec d’autres, car être membre du groupe apporte certaines garanties. L’anonymat de la persécution en groupe entraîne plusieurs conséquences bénéfiques au Conformiste. Tout d’abord, cela permet de réduire le sentiment de culpabilité. Ensuite, cela permet de réduire la peur (le risque) de punition. De plus, les pensées et les comportements sont jugés en termes de valeurs immédiates et non pas sur le long terme. Enfin, les généralisations injustifiées sont acceptées sans réserve dans le feu de l’action.
Nous verrons dans la deuxième partie, les aspects relatifs aux victimes, au passage à l’acte et comment lutter contre ce phénomène.
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