Depuis
l’apparition au Royaume-Uni, dans les années 80, du concept « work-life balance » avancé par le Women’s Liberation Movement, il est évident que le problème d’équilibre entre la
vie personnelle et la vie professionnelle, tout sexe confondu, reste encore un sujet de société « brûlant ».
Quelques chiffres et l'écosystème de l'équilibre :
Des progrès notoires ont été acquis, notamment dans la tendance à rééquilibrer la parité homme-femme. Mais notre société, avançant à un rythme qui lui est propre, laisse souvent la main à l’individu qui la compose pour résoudre les conflits et les frustrations qu’elle lui engendre. Ainsi, sur les 40 dernières années, il semble clair que nous n’avons toujours pas pu répondre encore de manière entièrement satisfaisante à la situation. En effet, alors qu’en 2018 Le Figaro estimait que seulement 12% des salariés français étaient satisfaits de leur équilibre de vie[1]et que l’IFOP confirmait en 2023 qu’un cadre sur deux souhaitait quitter son entreprise[2], l’article du magazine Fortune[3] publié en 1990 donne toujours à réfléchir sur l’impact au sein de la famille d’un déséquilibre de vie pro-perso.
Dans
l’article de Fortune, on apprend que les enfants de cadres qui réussissent sont plus susceptibles de souffrir de toute une série de problèmes émotionnels et de santé que les enfants
de parents « moins performants ». Les longues heures de travail et les caractéristiques personnelles (perfectionnisme, impatience et efficacité) seraient les principaux coupables. L’article
conclue que les managers de haut niveau doivent apprendre à renforcer l’estime de soi de leurs enfants.
Cependant, les organisations favorisent traditionnellement et indéniablement les conflits entre travail et famille. Les pressions proviennent principalement de la focalisation étroite sur les buts et objectifs organisationnels à l'exclusion des buts et objectifs personnels. En effet, l’entreprise, par le biais du contrat de travail et du rôle proposé, pense généralement pouvoir « louer » quelques facettes « clés » de la personnalité d’un individu sans devoir nécessairement s’occuper du « reste ».
La frontière entre le travail et la famille est donc, d’un point de vue systémique, une erreur grossière. Si l’entreprise myope n’est pas capable d’adresser l’entièreté de son salarié, l’individu doit s’accaparer, ainsi que l’État, du sujet. Ce dernier symbolise ici la défense des droits du Citoyen face à ceux de l’Entreprise humaine (le groupe organisé), de facto plus puissante que l’Individu.
La structure du déséquilibre pro-perso :
Si l’on étudie les forces qui se cachent derrière le déséquilibre pro-perso, on s’aperçoit qu’il est en fait le fruit de deux « processus croissants » utilisant la ressource Temps. J’appelle processus croissant tout système dont la conséquence augmente avec l’augmentation de la cause (ex : plus de calorie entraine plus de poids). Ce système est intrinsèquement instable : il ne tend pas vers un équilibre des forces en présence, comme une boucle rétroaction ou de feedback, mais tend vers des niveaux de plus en plus intenses.
Ici, l’un des processus croissant est positif (+ è +), l’autre négatif (- è -).
Ainsi, du côté + è +, un déséquilibre vers le côté pro est prédisposé à dériver vers de plus en plus de temps de travail. Les augmentations de salaire et les promotions, par exemple, le renforcent.
Du côté - è -, le processus d’affaiblissement du temps perso est un cercle vicieux particulièrement fort. Moins vous passez de temps « à la maison », plus les activités et le « succès en famille » diminue, ce qui entraîne encore moins de désir de passer du temps en famille.
Cette situation est d’autant plus forte que pour la plupart des personnes qui réussissent professionnellement, il y a plus de pressions du côté pro que du côté perso. De manière imagée, il est moins rare d’avoir un manager rappelant avec insistance ses devoirs à une employée que d’avoir le conjoint de celle-ci l’attendant avec son rouleau à pâtisserie parce qu’elle rentre tard du travail. Et cela n’aura pas la même pression sur elle non plus si ce même conjoint rentre, lui aussi, tard de son travail… De même, son ado réfractaire ne viendra pas la chercher non plus, heureux d’avoir trouvé en son absence une pause bien méritée à la dictature parentale qu’il subit…
Ce déséquilibre ne se corrige donc pas de lui-même.
Le rôle de l'individu :
Alors que faire ? Lors de mes accompagnements, je mets souvent l’emphase sur la prise de distance par rapport à la situation (position "méta"). La personne doit se forcer à se voir agir et comprendre ses motivations personnelles. Car il n’y a de « bon » équilibre de vie perso-pro que celui qui est clairement compris. L’accepter ou le changer est l’étape d’après.
Il s’agit donc de faire des choix et d’assumer aussi que chaque décision a son lot de conséquences négatives mais que néanmoins, au final, la balance tombe du côté positif. Il s’agit d’aider l’accompagné(e) à trouver la maturité, le courage et la volonté de retourner la « médaille », et de comprendre le vrai prix d’un choix acté parfois trop idéalisé.
Ainsi, si vous êtes dans une démarche de rééquilibrage de vie pro-perso, demandez-vous si, compte tenu de vos ambitions, votre vision est vraiment d'avoir un équilibre entre travail et famille. Car « l’équilibre » sous-entend, dans le langage de tous les jours, une égale mesure entre pro et perso. Mais votre équilibre à vous n’est peut-être pas 50/50 ; 90/10 ou 10/90 est peut-être ce qui vous correspond le mieux.
Identifiez donc ce qui est vraiment important pour vous et faites un choix qui vous engage ouvertement. Encore une fois, la conscience et l’acceptation des aspects négatifs inhérents à votre choix, quel qu’il soit, est un point fondamental. Ici pas de lunettes roses, ou de lunettes noires. Soyez honnête avec vous-même et votre entourage concernant votre choix et n'essayez pas de le manipuler (et vous auto-manipuler) pour obtenir un accord, un soutien ou une motivation superficielle.
Enfin, profitez des opportunités que la vie (perso ou pro) offre pour réfléchir. Un changement de poste, une fin de mission, une évaluation, un nouveau projet, un mariage ou son équivalent, l’arrivée d’un enfant, mais aussi un échec, une perte d’un proche, etc. sont autant de prétextes, parfois douloureux, à commencer une réflexion sur le cadrage que l’on veut avoir dans sa vie.
Le rôle de l'organisation :
Ironiquement, les conflits pro-perso pourraient être l’un des principaux moyens par lesquels les organisations limitent leur propre efficacité. En favorisant un tel conflit, elles distraient et affaiblissent leurs membres.
Car la sphère familiale a un rôle clé à jouer : Les véritables compétences de leadership dans une organisation sont les compétences d’un parent efficace. Or, le pourcentage de familles monoparentales continue d’augmenter[4]. L’une des conséquences de ce changement radical est que les problèmes familiaux se répercutent beaucoup plus dans la vie des managers.
Ici aussi, l’organisation peut chercher l’opportunité de mettre à plat avec son salarié les motivations et objectifs de celui-ci non seulement lors des évaluations annuelles mais aussi aux étapes charnières de la relation professionnelle.
Voici quelques voies que les organisations pourraient suivre pour commencer à contribuer à un meilleur équilibre entre travail et famille de leurs salariés et ainsi les rendre plus efficaces :
- Aspects pratiques, comme offrir des services de garde de jour, surtout pour les parents seuls ;
- Aspects psychologiques, comme aider ses salariés à mieux se connaitre, en particulier leurs motivations personnelles ;
- Les deux aspects ensemble, comme soutenir la maîtrise de soi professionnelle sur des aspects organisationnels ou psychologiques en permettant à leurs salariés d’être accompagnés ;
- Aspects sociaux et environnementaux, comme permettre à ses salariés de pouvoir évoquer leurs problèmes familiaux sans perdre la face : c’est peut-être le frein le plus difficile à lever sur l’ouverture de la communication dans une entreprise dans lequel la norme est « Soyez des pros, restez rationnels et ne montrez pas d’émotions ».
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Cet article est le dernier avant une pause estivale. On se retrouve donc en septembre. A très bientôt !
Vous pouvez retrouver cet article, ainsi que d’autres sur des sujets en lien avec l’organisation, le groupe ou l’individu sur le blog d’Integrative Strategy.
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