Des problèmes soulevés par la diffusion en entreprise des résultats des tests de personnalité.
Ce post est la 3° partie du thème "la gestion des personnalités".
De l'utilisation des résultats :
Après avoir étudié la difficulté à définir ce que cache la notion de personnalité et identifier les outils existants[1], voyons ensemble quelles difficultés amènent l’utilisation des résultats des tests de personnalités en entreprise.
Il est important de se connaitre. Apporter à ses employés des notions de psychologie et d’interaction est nécessaire. La démarche est louable, tant que les outils utilisés sont adéquats. Mais les grilles de lecture de personnalités, comme on l’a vu dans les articles précédents, ne le sont pas suffisamment. L’un des défauts majeurs est qu’elles ne tiennent pas compte de l’environnement de l’individu. Or, sans aller jusqu’à la catoptromancie[2] ou au narcissisme, le miroir utilisé doit restituer une image la plus réaliste possible de l’individu et de son environnement: être un « Mouton » chez « Moutons & Cie » ne porte pas à préjudice; mais l’être chez « Ours & Cie » devient suicidaire.
Car, l’un des véritables problèmes de ces révélateurs de personnalité réside dans la corrélation entre leurs résultats et le comportement des personnes testées. En effet, le but recherché, au-delà du portrait tiré, est d’aider à prévoir les comportements futurs. Mais le peu de données trouvées ne sont pas très bonnes. Walter Mischel soulignait dès les années 1970, après l’engouement des années 1950-60 sur la personnalité, la faible corrélation (+0.30) entre les résultats et les comportements attendus. Même si les tests ont évolué, l’ordre de grandeur reste similaire et la critique perdure (ex: How accurate are personality tests, Scientific American, 2018). Néanmoins, il est à noter que plus le score est dans l’extrême, plus le test sera capable de prédire le comportement associé. Mais on reste ici davantage dans les miroirs déformants des foires que dans les hologrammes ou la tomographie[3].
Et cela n’est pas vraiment une surprise. Car on retombe sur la critique faite plus généralement contre la psychologie concernée uniquement par ce qui se passe dans l’individu : un individu baigne aussi dans son milieu social et sa personnalité tient en (très grande) partie des relations qu’il entretient avec son environnement (réalité, rêve et cauchemar ; passé, présent et futur). L’environnement est clé dans l’étude de personnalité et des comportements. C’est le principal rappel à l’ordre de la Gestalt et de la psychologie dynamique, donné déjà dans les années 1930. En effet, le but de la psychologie n’est-il pas de comprendre, et donc de prévoir, le comportement de l’individu ?
Quelques limites :
Outre la faible corrélation entre le portrait produit et le comportement de l’individu, un autre problème de taille subsiste encore. Il touche, cette fois-ci, à la vulgarisation du concept de personnalité. En effet, certains professionnels, s’estimant compétents sur le sujet, utilisent ces outils sans vraiment en connaitre les sources et leurs limitations.
Plus gênant encore, les personnes testées sont, pour la plupart, encore moins bien [in]formées que leurs prescripteurs. Les formations et les brochures produites par les détenteurs de ces outils, sont, pour beaucoup, des prospectus explicatifs permettant surtout d’asseoir leurs expertises sous couvert du professionnalisme engagé par la société du demandeur. Car c’est ce seul facteur, exogène à l’outil (la respectabilité de l’entreprise achetant le test), qui différencie, par exemple, l’admission de l’utilisation de l’ennéagramme dans certaines sociétés du CAC40 de l’ostracisme évident de ces mêmes sociétés à utiliser, dans un même but, l’astrologie … Mais l’instinct grégaire des grands groupes est pour beaucoup dans ce phénomène de mode que l'on trouve dans tous les aspects du management (on parle alors d’isomorphisme mimétique).
Puis, les personnes testées vont utiliser les concepts découverts. Affublé de sa nouvelle étiquette, l’ISFJ (MBTI), le Vert (Insights Discovery, DISC), le Travaillomane (ProcessCom) etc. risque, sous la pression implicite de l’utilisation d’un outil dans son cadre professionnel, de se voir catalogué (voire de s’auto-cataloguer) suivant une grille de lecture simpliste : « Je » suis « Rouge », alors c’est normal d’être « abrupt dans ma communication » puisque cela fait partie de la définition du « Rouge » (possibilité de reformuler tous les guillemets avec d’autres pronoms personnels, critères et explication donnée du critère choisi).
Cette action est d’autant plus renforcée que l’information fournie à la personne testée en conclusion du test, bien que mentionnée comme personnelle et confidentielle, est ouvertement partagée avec le responsable hiérarchique de l’employé et la DRH (si ce n’est avec des pairs ou une équipe), c’est-à-dire avec les personnes qui ont la quasi-totalité de l’influence sur l’évolution professionnelle du salarié.
De plus, il est à signaler qu’après quelques heures de formation, seules les notions basiques resteront dans la tête d’un utilisateur néophyte. Par exemple, demandez à un utilisateur lambda quelques semaines après sa formation à la PCM, comment il utilise le concept de l’ascenseur, s'il s'en souvient … Les bonnes résolutions ne dureront qu’un temps, tout au plus elles seront partiellement et superficiellement intégrées.
Pour ce qui est d’une aide au changement, prendre conscience des traits de sa personnalité par le biais de tests
imposés s’avère assez souvent contreproductif, qu’on accepte ou pas les résultats. Pour reprendre la symbolique de l’Analyse Transactionnelle, la personne testée au sein de son
entreprise est poussée dans la position de l’Enfant. Il a alors la possibilité de s’adapter au « jugement » du Parent (les résultats, l’outil ou le donneur d’ordre utilisant l’outil) en
s’y soumettant ou en se rebellant. Ou il peut se libérer de ce jugement (c’est-à-dire en ayant un comportement inadapté, pour rester dans l’orthodoxie de l’AT). Le choix promulgué ouvertement
(entre soumission, rébellion ou inadaptation) est donc plutôt restreint pour qui veut montrer sa coopération. Ce problème peut être cependant évité en s’assurant que la personne testée soit en
mode « Adulte » (toujours selon l’AT): en gros autonome, raisonnée et motivée, c'est-à-dire à l'initiative de la démarche.
Cela implique que ce soit fait sous couvert d’anonymat, envers aussi le prescripteur, la DRH ou le management. La seule personne ayant accès aux résultats ne doit alors être que la personne testée. Elle ne devrait pas être incitée à les partager, sauf dans une relation « sécurisée », ce qui n’est jamais le cas d’une relation professionnelle interne, aussi amicale soit-elle. Le coaching ou le mentorat (demandant la motivation de la personne concernée et étant normalement éthiquement indépendant du donneur d’ordre) sera beaucoup plus efficace. Sinon, il y a un risque de ne pas avoir la motivation intrinsèque nécessaire au changement lié à toute amélioration.
Enfin, notre culture occidentale, de nos jours, est beaucoup plus dans l’acceptation de l’individu tel qu’il est, qualités et défauts compris. Au nom d’un individualisme exacerbé, le slogan « parce que je le vaux bien » résonne triomphant. Le « non », premier mot d’individuation chez l’enfant, gagne des parts de marché sur le « oui » fusionnel, subordonnant l’individu au groupe dont il fait partie. Ce négativisme est aussi le reflet d’une culture qui n’est pas, ou peu, menacée de l’extérieur. Néanmoins, l'instabilité géopolitique agit comme une force contraire, surtout depuis l’éveil "occidental" fait il y a 2 ans sur un conflit entamé il y a 10 ans (annexion de la Crimée par la Russie en 2014). Mais une société est capable de supporter des injonctions contraires beaucoup plus facilement que les individus qui la composent.
Différence, dans le monde de l'entreprise, est donc aujourd’hui synonyme de sincérité, d’authenticité. Malheureusement, se glisse dans cette différence tous les défauts de la condition humaine. Sans tomber dans la morale au nom d’une éthique personnelle, je me limite ici aux axes d’amélioration de l’individu vis-à-vis de lui-même et de son environnement, en particulier de son environnement social. Car être fier de sa différence ne doit pas bloquer sa capacité à s’adapter ou se développer. L'acceptation de la vérité toute crue (le fameux "warts & all" d'Oliver Cromwell), et non que l'on croie, est ici fondamentale. L’aspect statique de la personnalité ne doit pas faire oublier son côté dynamique car l’apprentissage et le changement sont deux vecteurs-clés dans l’évolution de tout être vivant.
Pour résumer, les tests de personnalité n’aident pas vraiment à prévoir le comportement car n'incluant pas l’environnement de l’individu testé. De plus, l’utilisation de concepts peu maitrisés par lui, dans un univers peu sécurisé, ne favorisent pas son développement. Néanmoins, sur le long terme, ils peuvent permettre un éveil de l’individu à des notions importantes de connaissance de soi et de socialisation.
Nous verrons dans le prochain article comment l’individu, avec sa personnalité, impacte le groupe et les outils que l’on peut trouver à ce niveau.
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Rappel :
Suite à une demande d'intervention sur le thème de la gestion des personnalité à l’IFCS de Grenoble (Institut de Formation des Cadres de Santé) dans le cadre de leur formation, exécutée en partenariat avec l’IAE et l’IEP, de Master 2 – Gestion des ressources humaines, vous trouverez ici un retour d'expérience d’accompagnant d’organisations, d’équipes et de personnes.
Ce sujet étant très large, et pour une plus grande facilité de lecture, il est scindé en cinq articles.
D’un temps de lecture de 4-5 minutes, chaque article tente de couvrir synthétiquement une facette importante du sujet. Celui-ci est le
troisième
de la série :
1. De la difficulté à définir ce qu’est la personnalité (Mise en lumière de la personnalité)
2. Des principaux outils disponibles et de leurs origines (Les recettes des « Self » services)
3. Des conséquences de l’utilisation des résultats (A manipuler avec soin)
4. De la personnalité au groupe (« Tous », ensemble)
5. De l’intelligence collective et du bien-être au travail (Entre « Nous »)
Notes:
[1] Voir les articles précédents : Mise en lumière de la personnalité (Personnalité 1/5) & Les recettes des « Self » services (Personnalité 2/5) : https://www.integrativestrategy.fr/ressources/blog/
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