Analyse des outils existants relatifs à la personnalité.
Ce post est la 2° partie du thème " la gestion des personnalités".
Les outils, leurs origines :
Après avoir étudié la difficulté à définir ce que cache la notion de personnalité[1], rapprochons-nous des outils existants. Les plus utilisés aujourd’hui dans le monde de l’entreprise ont plusieurs sources :
1/ Certains sont basés sur un livre de Carl Jung, les types psychologiques (1921) :
- Le MBTI (Myers Briggs[2] Type Indicator) américain : 16 types,
- Son équivalent soviétique (du moins au départ), la Socionique : 16 types,
- Le TMS (Team Management System): 4 axes, 8 profiles,
- Le DISC (Dominance-Influence-Steadiness-Conscientiousness) : 4 composantes,
- Insights Discovery : 4 couleurs originales, jusqu’à 72 types,
- Le Golden : 16 types, 32 sous-échelles.
Malheureusement, même les principaux types, bien que très suggestifs, ont été rapidement et beaucoup critiqués (scientifiquement). Indémontrables, ils représentent plus certains syndromes partiellement corrélés qu’une véritable personnalité (Voir, par ex. Explorations in personality, Henry Murray, 1938) ...
De plus, mettre l’intuition (le N du MBTI) à part n’a pas vraiment convaincu, toute fonction cognitive semblant être aussi intuitive.
2/ D’autres sont en lien avec les « Big 5 »[3] :
- Le 16PF (16 Personality Factor questionnaire) : 5 critères globaux, 16 critères primaires,
- Le HPI (Hogan Personality Inventory) : 7 critères,
- Le MVPI (Motives, Values, Preferences Inventory) : 10 critères, 5 thèmes,
- Le NEO-PI-R (Neuroticism-Extraversion-Openness, Personality Inventory, Revised) : 5 domaines, 30 facettes,
- L’IPIP (International Personality Item Pool) : jusqu’à 269 critères.
Il faudra attendre les travaux du génial[4] Francis Galton (Measurement of character, 1884), père involontaire de l’eugénisme et cousin de Charles Darwin, pour commencer à voir apparaitre l’idée d’un lexique des traits de personnalité. Gordon Allport (& Cie) reprend l’idée 50 ans plus tard (1936) et catalogue plus de 4 500 adjectifs relatifs aux traits de personnalité. Raymond Cattell (& Cie) réduira la liste en plusieurs étapes pour arriver aux 16 traits du 16PF (1949). A force de tailler le bonsaï lexical de la personnalité, le Big 5 apparaitra finalement en 1968.
Il y a environ 3 ans, le site 16personalities a essayé de rapprocher ses diagnostiques de ceux du MBTI. Etant basé sur le Big5, 16personalities avait donc 5 dichotomies alors que le MBTI en a 4. Il a donc essayé de rajouter une cinquième dimension « Assertive-Turbulent » au MBTI. Ce qui n’est pas une très bonne idée, vu qu’il n’y a pas équivalence pour les autres axes.
Des versions encore plus « folkloriques » du MBTI, proposant jusqu’à 512 types de personnalités, ont été aussi aperçues sur internet…
3/ D’autres encore sont plus axés sur le côté vocation professionnelle :
- Le SII (Strong Interest Inventory) : 6 zones,
- Le CISS (Campbell Interest & Skill Survey) : 7 critères,
- Le HBRI (Hogan Business Reasoning Inventory) : 24 compétences, 2 axes.
Le CISS a ses origines, en partie, dans les travaux d’Alfred Binet (père du QI) et ceux d’Edward Strong (psychologue des organisations). Le CISS et SII sont assez proches. Le HBRI est plus orienté pour les fonctions commerciales.
4/ Quelques outils sont fondés sur la communication, l’interaction ou le conflit :
- La PCM (Process Communication Model) : 6 types,
- Le BTRI (Belbin Team Role Inventory, ou BTI ou BSPI) : 9 rôles,
- Le JPI-R (Jackson Personality Inventory, Revised) : 15 critères, 5 groupes,
- Le TKI (Thomas-Kilmann Instrument) : 5 comportements.
La ProcessCom de Taibi Kahler mixe des problématiques de communication avec les archétypes de Jung (pour rappel, indémontrables) et des notions de l’Analyse Transactionnelle d’Eric Berne. La ProcessCom était vu, au départ, comme un outil assez pertinent sur les canaux de communication car limitée à ceux-ci. Cependant, son rayonnement aujourd’hui est centré sur une typologie très simple de personnalités. Le stress y est néanmoins conceptualisé par niveaux ce qui aide à la vulgarisation de son identification pour les non-initiés en psychopathologie ; la PCM étant aussi à cheval sur le prochain point.
Les comportements n'étant pas des traits de personnalité, le TKI aide néanmoins, comme les autres outils de cette liste, à lier les deux.
5/ Certains outils s’appuient sur le côté psychopathologique de l’individu :
- Le MMPI (Minnesota Multiphasic Personality Inventory) : 10 critères,
- Le CPI (Californian Personality Inventory) : 23 critères,
- Le HDS (Hogan Development Survey) : 11 critères.
Utilisés, au départ pour certains, à des fins médicales, ces outils cherchent à identifier le « côté sombre » de l’individu. Cet intérêt est très en vogue depuis environ 25 ans comme on peut le voir dans la pop-culture occidentale : le « méchant », apparemment plus intéressant (excitant ?) que le « gentil », est souvent mis en avant (le Joker, Cruella, Miranda Priestley … Darth Vader a vécu la transition)[5]. Cependant l’étude d’une pathologie n’induit pas nécessairement des conclusions applicables à un sujet sain, ou du moins à une personne qui n’est pas dans les extrêmes pathologiques. L’hypothèse sous-jacente ici est que différentes pathologies mentales reflètent différents types de personnalités.
6/ Enfin certains outils sont basés sur … pas grand-chose de scientifique : L’ennéagramme est un exemple type de pseudo-science : Basé sur les élucubrations d’un pseudo-mystique qui vécut longtemps en France (ce qui pourrait expliquer en partie son déploiement sur l’Hexagone), les 9 types de personnalités de la théorie se fondent essentiellement sur … les 7 péchés capitaux. Une bonne dose d’éthique douteuse basée sur des critères mystico-philosophico-religieux (le gourou assurait qu’il avait réussi à unir les pratiques du fakir, du moine et du yogi …), même pas saupoudrée d’un édulcorant scientifique: telle est la recette.
Évidemment, l’astrologie et les arts divinatoires regorgent aussi de différents types de personnalités mais ils n’ont pas encore réussi à pénétrer le monde professionnel … aussi bien que la graphologie.
Comme on trouve de tout sur internet, il existe des tables de correspondance entre les signes astrologiques, les humeurs d’Hippocrate, la typologie MBTI et celle du DISC. A vos horoscopes !
Plus sérieusement, ces listes ne se veulent pas, bien sûr, exhaustives[6] car, pour rappel, il s’agit ici simplement de clarifier la base théorique (en conclusion assez fragile) des tests de personnalité.
L’inventaire ne tient pas compte non plus des nombreux outils psychanalytiques permettant d’explorer une personnalité au lieu de la contraindre dans un lexique. Parmi les plus connus qui utilisent le phénomène de projection, on peut citer les psycho-diagnostiques d’Hermann Rorschach et le TAT (Thematic Apperception Test) d’Henry Murray.
Il ne s’agit pas, là non plus, de convaincre le lecteur qui reste libre de ses croyances. L’important ici est de séparer ce qui tient de la science de ce qui appartient à de la croyance. Pour reprendre Vilfredo Pareto (Traité de sociologie générale, 1916), il importe de différencier « les éléments logiques et expérimentaux » de la théorie de la personnalité de ses « dérivations », qui ne le sont pas. Ces outils peuvent être utiles en première approche mais sont certes beaucoup moins pertinents que ce que leurs images de marque tentent de démontrer.
Les travaux d’Allport soulignent néanmoins que ce marché a encore un bel avenir, la liste des traits pouvant devenir très créative. Il ne manque qu’une touche d’IA pour avoir droit à un oracle de Delphes 2.0.
Enfin, il est à noter que la protection marketing (le copyright mais aussi les certifications
parfois demandées pour pouvoir accompagner de tels tests) permet aux créateurs de ces d’outils de garder une distance vis-à-vis de leurs critiques, venant souvent du monde scientifique. En effet,
le copyright permet parfois de ne pas divulguer les sources sur lesquelles sont fondées la théorie et l'outil associé et de jeter un voile pudique sur leurs paucités.
Néanmoins, ces critiques détonnent des réactions des utilisateurs. Ces dernières sont peut-être dues à ce qu’une grande majorité de ce ceux-ci
découvrent (pour la première fois), avec ces outils, quelques clés d’introspection. Aussi, une autre grande population très positive regroupe les experts accompagnant ces
primo-utilisateurs.
La diffusion ne pouvant être via le monde scientifique, ces outils utilisent la certification pour créer leurs réseaux et leurs communautés d’utilisateurs. Pour rendre l’outil encore plus indispensable, les détenteurs de ces outils attachent un prix aux formations et aux utilisations qui force parfois le choix d’un outil par rapport à un autre. C’est particulièrement le cas pour les Coachs indépendants qui choisissent ainsi de se spécialiser. Ce cercle de causalité (plutôt que vertueux ou vicieux qui impliqueraient un jugement) permet donc de renforcer la valorisation de l’outil aux yeux de ces utilisateurs.
Pour résumer, beaucoup d’outils sont disponibles mais leurs théories sous-jacentes sont assez limitées voire quasi-inexistantes, d’un point de vue rationnel. Ils permettent néanmoins d’introduire des notions de psychologie et de dynamique de groupe à une population qui n’est pas nécessairement initiée sur ces points.
Nous verrons dans le prochain article, les principales difficultés que peut amener l’utilisation de tels outils.
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Rappel :
Suite à une demande d'intervention sur le thème de la gestion des personnalités à l’IFCS de Grenoble (Institut de
Formation des Cadres de Santé) dans le cadre de leur formation, exécutée en partenariat avec l’IAE et l’IEP, de Master 2 – Gestion des ressources humaines, vous trouverez ici un retour
d'expérience d’accompagnant d’organisations, d’équipes et de personnes.
Ce sujet étant très large, et pour une plus grande facilité de lecture, il est scindé en cinq articles.
D’un temps de lecture de 4-5 minutes, chaque article tente de couvrir synthétiquement une facette importante du sujet. Celui-ci est le
deuxième
de la série :
1. De la difficulté à définir ce qu’est la personnalité (Mise en lumière de la personnalité)
2. Des principaux outils disponibles et de leurs origines (Les recettes des « Self » services)
3. Des conséquences de l’utilisation des résultats (A manipuler avec soins)
4. De la personnalité au groupe (« Tous », ensemble)
5. De l’intelligence collective et du bien-être au travail (Entre « Nous »)
Notes:
[1] Voir l’article précédent : Mise en lumière de la personnalité (Personnalité 1/5)
[2] Le livre Gifts differing d’Isabel Briggs Myers, 1980, plus court que celui de Jung, peut servir d’introduction.
[3] Big 5 ou modèle OCEAN : Ouverture, Conscienciosité, Extraversion, Agréabilité, Neuroticisme (instabilité émotionnelle).
[4] Lewis Terman, psychologue américain qui fera évoluer la notion de QI, lui associera un QI supérieur à 200.
[5] Voir l’article The dark side of management (en anglais) : https://www.integrativestrategy.fr/the-dark-side-of-management/
[6] Voir aussi, pour les plus motivés :
- Les tempéraments de Galen,
- Les attitudes d’Eduard Spränger,
- Les cerveaux gauche / droit de Ned Herrmann et son outil le HBDI (Herrmann Brain Dominance Instrument),
- Les thèmes englobant les besoins névrotiques de Karen Horney,
- Le FIRO-B (Fundamental Interpersonal Relations Orientation – Behavior) de William Schutz.
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